Plan Eau du gouvernement : des annonces qui posent question

Très attendu depuis des mois, le plan Eau du gouvernement a été dévoilé jeudi 30 mars à Savines-le-Lac. Il est présenté comme «plan d’action pour améliorer la gestion de manière résiliente et concertée de l’eau», menacée par la sécheresse et le dérèglement climatique. 

En effet, les experts climats estiment une baisse de 10% à 40% de la disponibilité d’eau douce en France pour les prochaines décennies. Le cycle de l’eau a d’ores et déjà connu d’importantes modifications au cours des dernières années entrainant des répercussions sur de nombreux secteurs comme l’agriculture, l’énergie, les loisirs, ou l’industrie. Une réorganisation du système est donc effectivement plus que nécessaire.

Le plan comprend 53 mesures autour de 5 grands axes : «accélérer la sobriété partout et dans la durée», «lutter contre les fuites», «investir dans la réutilisation d’eaux usées», «accompagner la transformation de notre modèle agricole» et «mettre en place partout une tarification de l’eau». L’objectif est clair : s’inscrire dans la durée en réduisant de 10% l’eau consommée en France d’ici 2030. 32,8 milliards de mètres cubes sont prélevés chaque année, cela entrainerait une baisse d’un peu moins de 3,3 milliards de mètres cubes.

Si le plan semble assez complet sur la forme, sur le fond, quelques points suscitent l’interrogation. Les collectivités s’inquiètent, à juste titre, d’une remise en cause de leur responsabilité au profit d’un certain « paternalisme » de l’État.

 

Un début de prise en compte de la spécificité des territoires ?

Emmanuel Macron a annoncé la fin de l’obligation du transfert de la compétence eau au niveau intercommunal. Demandé depuis longtemps par les collectivités, le retrait de cette obligation (qui devait arriver avant 2026), semblerait toutefois ne s’appliquer qu’aux « communes isolées qui sont parfois en situation de risques » par rapport à la ressource en eau. 

Le Président a abordé la question de la mutualisation des moyens, suggérant que le modèle de l’intercommunalité est parfois le bon, mais qu’il faudrait mutualiser différemment. Le principe même du transfert ne serait alors pas remis en question. Il souhaite, en fait, pouvoir « consolider partout où c’est accepté, le modèle de l’intercommunalité et ensuite trouver les bonnes solutions de mutualisation : nouveau syndicat possible, intercommunalité choisie, avec une accélération de l’investissement, avec un modèle pluriel différencié qui repose sur l’intelligence des élus de terrain et de la diversité du territoire ». 

Les élus des collectivités locales ont été surpris d’une autre annonce du chef de l’État : la tarification progressive et responsable de l’eau. L’idée est de facturer à un prix coutant les premiers mètres cubes, puis au-delà d’un certain niveau, d’élever le prix unitaire. 

Dans les faits, une dizaine de collectivités ont déjà adopté un barème progressif en fonction de la quantité d’eau consommée par les ménages. Ce sont elles, et non l’État qui en tant qu’autorités organisatrices de l’eau décide de la tarification. Par exemple, à Montpellier, une facturation selon quatre tranches a instauré :  la première, de 0 à 15 m3, est gratuite pour les usagers courants. La dernière tranche va au-delà de 240 m3. Le mètre cube est alors facturé 2,7 euros l'unité. 

En 2012, le Syndicat de l’Eau du Dunkerquois avait été novateur en lançant, pour la première fois en France, un tarif de l’eau à visée écologique et solidaire reposant sur trois tranches de consommation qui correspondaient aux usages de l’eau. Cette « tarification éco solidaire » a porté ses fruits puisque la consommation moyenne des Dunkerquois est aujourd'hui de 67 m3 d'eau par an, soit 16% de moins que la moyenne nationale (80 m3).

 

Tous les types de consommateurs appelés à faire preuve de sobriété

Une campagne grand public sera lancée prochainement. Elle sera notamment l’occasion de faire la promotion d’un Ecowatt de l’eau. Sur le modèle de l’application qui permet de connaitre la situation du réseau électrique français et d’adapter sa consommation en conséquence, ce nouveau dispositif permettra de connaitre l’état des ressources en eau de son territoire. L’outil va également informer sur les « restrictions qui s’appliquent en fonction de sa géolocalisation et de sa catégorie d’usager, et les écogestes recommandés au regard de la situation hydrologique locale.»

Le « plan de sobriété » annoncé ne touche pas que les ménages (qui représentent 26% des consommateurs. L’agriculture, premier secteur concerné avec 58% du total consommé, mais aussi le secteur de la restauration ou encore les sites touristiques sont appelés à être davantage responsables. Tout comme les industriels (4%) et les producteurs d'énergie pour le refroidissement des centrales électriques (12%). L’État prend également sa part et prévoit d’équiper ses bâtiments de mécanismes de récupération des eaux de pluie notamment.

Des objectifs chiffrés, plus contraignants, de réduction des prélèvements vont être intégrés dans les Sage (schémas d’aménagement et de gestion de l’eau) et les PTGE (projets de territoire pour la gestion de l’eau). 

 

Des ambitions fortes dans le stockage, les pertes et la réutilisation  

Le stockage de l’eau dans le sol est également au cœur de ce plan : un fonds de 30 millions d’euros pour l’hydraulique agricole sera ainsi débloqué pour améliorer l’infiltration dans les nappes phréatiques et faciliter l’utilisation des ouvrages existants.

En parallèle, le plan s’attaque aux pertes en eau résultant d’infrastructures vieillissantes et de nombreuses fuites. En moyenne, un litre sur cinq est perdu dans le réseau en France représentant 180 millions d’euros par an pour résorber ses fuites. Dès 2024, 180 des 475 millions d’euros d’aides supplémentaires des agences de l’eau « seront dédiés au petit cycle de l’eau » pour accompagner les territoires les plus en difficultés. Le gouvernement a ciblé 170 collectivités dites « point noir » où le taux de fuite est supérieur à 50% ainsi qu’environ 2000 communes qui ont connu des « tensions » sur l’approvisionnement en eau potable l’été dernier. Les associations d’élus s’inquiètent d’une forme de « reprise en main » des Agences de l’eau par l’État, car les aides seront « conditionnées à des objectifs de performance de gestion sur leur patrimoine ».

Enfin, le chef de l’État a annoncé vouloir s’attaquer au sujet de la réutilisation des eaux usées, avec un objectif ambitieux de 10 % de réutilisation des eaux usées, alors qu’actuellement, moins de 1% de l’eau est réutilisé. Dans ce cadre seront étudiés 1000 projets de réutilisation des eaux sur les cinq prochaines années en lien avec les collectivités territoriales. En Espagne, plus de 15% des eaux grises servent déjà à l’irrigation des champs, l’arrosage des jardins publics ou encore les nettoyages des rues. Le gouvernement promet « la levée des freins réglementaires », tout en évoquant de futurs usages dans « l’industrie agroalimentaire, d’autres secteurs industriels et certains usages domestiques ». Il n’évoque pas les collectivités territoriales, alors que certaines communes sont en attente d’autorisations de l’Anses pour mettre en œuvre la réutilisation des eaux usées traitées pour l’arrosage des espaces verts. Le préfet sera désormais le « guichet unique »  pour tous les projets de Reut. Par ailleurs, un appel à manifestation d’intérêt spécifique sera lancé « à destination des collectivités littorales pour étudier la faisabilité des projets de Reut ».

 

Des financements et une gouvernance incertains

Enfin, et afin d’atteindre les objectifs fixés, 475 millions d’euros supplémentaires par an seront versés pour les Agences de l’eau. Le budget des Agences de l’eau venant du consommateur, la question de la provenance de ces 475 millions se pose ? S’agit-il d’une nouvelle taxe ou d’une redevance ?

Le budget qui sera alloué aux collectivités pour les aider à financer les mesures du Plan Eau n’est pas également chiffré précisément. Vient-il en supplément ou est-il la somme des aides citées précédemment ? De même, certaines mesures seront financées dans le cadre du « Fonds vert » et donc ne font pas l’objet de financements supplémentaires. 

Enfin, en indiquant vouloir « supprimer le plafond de dépenses », le Chef de l’État a potentiellement annoncé la fin d’un système très critiqué par les associations d’élus et acteurs de l’eau : tout ce qui est perçu par les Agences de l’eau comme recettes au-delà d’une certaine somme est prélevé et reversé au budget de l’État. C’est donc un plafonnement des recettes et non des dépenses.

Dès à présent, et jusqu’en 2027, des comptes seront rendus aux différentes parties prenantes (deux fois par an a minima) concernant la mise en œuvre des mesures du plan dans le cadre du Comité national de l’eau. Les trois quarts des dispositions relèvent du règlement et peuvent ainsi être mis en œuvre par décret ou arrêté sans passer par le Parlement. Les questions financières « devront passer en loi de finances ». Est-ce que la tarification progressive de l’eau, compétence des collectivités, fera l’objet d’une future loi? Affaire à suivre.